Dimanche 24 Novembre, les élus de la Ville de Nice et les proches de « Jacquou » ont inauguré la nouvelle rue baptisée du nom de Jacques Médecin.
Jacques Médecin aimait les Niçois et les Niçois l’aimaient. C’est pour cela que le Conseil municipal avait approuvé à l’unanimité qu’une rue porte le nom de cet incontournable Maire de Nice. Dans le prolongement de l’avenue Jean Médecin, du nom de son père, l’ancienne Rue de l’Opéra est aujourd’hui baptisée du nom de Jacques Médecin.
Découvrez ci-dessous l’hommage rendu par Christian Estrosi à Jacques Médecin
Ce matin j’ai inauguré en présence de sa famille, de ses proches et de ses anciens collaborateurs la rue Jacques Médecin !
Quand le conseil municipal, à l’unanimité, a voté pour qu’enfin, on donne à Jacques Médecin une rue à son nom, dans son quartier, au voisinage d’Alexandre Mari et de Pierre Gautier qui furent les prédécesseurs de son père et dans le prolongement du grand axe historique jalonné des noms de Jean Médecin, François Malausséna et Alfred Borriglione, des maires qui firent tant pour Nice, je me suis dit : « Ca y est, les choses rentrent dans l’ordre, le temps a passé, tout le monde a compris ». Et j’en étais très heureux.
Et puis non.
Depuis quelques jours, la haine a resurgi.
Pas de pardon, rien que de la haine pour un homme qui, pour ses erreurs, a pourtant payé.
Pas de pardon, rien que de la haine pour un homme qui avait Nice et les Niçois comme passion, et qui a permis à notre ville de prendre le tournant décisif de la modernité.
Alors, je me suis posé cette question, toute simple : pourquoi tant de haine ?
Pourquoi ne peut-on pas laisser Jacques Médecin reposer en paix ?
Pourquoi ne peut-on pas voir ce qu’il a fait de meilleur et la reconnaissance que cela crée, pour nous, Niçois ?
Pourquoi lui et pas tant d’autres, qui ont dit et fait pire que lui en donnant bien moins que lui, avant lui, à la même époque que lui, et depuis ?
Parce que Jacques Médecin, déjà, refusait le politiquement correct qui aujourd’hui nous étouffe.
Parce que Jacques Médecin, il était comme nous, les Niçois, il était libre, et il voulait que Nice demeure libre de toute tutelle, celle de la bien-pensance, celle de Paris, celle des partis.
Et les hommes libres, ça agace, ça énerve, ça fait comprendre leur petitesse à tous ceux qui ne le sont pas.
Alors, ils l’ont attaqué, et ils l’attaquent encore et toujours.
Et en l’attaquant, ils attaquent Nice, ils nous attaquent, nous, les Niçois, parce que nous sommes libres, toujours !
Alors, puisqu’ils nous attaquent, moi, je contre-attaque.
J’ai voulu donner à Nice un boulevard François-Mitterrand.
Franchement, vous croyez que François Mitterrand a fait autant pour Nice que Jacques Médecin ?
Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas.
Mais en faisant ce choix, je me suis incliné devant l’histoire et devant la République, cela me paraît juste.
Et quand le boulevard a été inauguré, je n’ai pas cherché la part d’ombre, j’ai rappelé l’homme que les Français ont majoritairement choisi, par deux fois, pour incarner la nation.
J’ai voulu donner à Nice un espace public dédié à Charles Caressa, à Louis Fiori, à Max Cavaglione, à Pierre Joselet.
Tous, ils ont été des opposants à Jacques Médecin, des opposants violents, résolus, implacables.
Politiquement, je dirais même que ce sont eux qui ont eu sa peau, et pas de la façon la plus loyale, dans les urnes.
Mais lorsque ces espaces ont été inaugurés, ce n’est pas cela que j’ai voulu rappeler.
J’ai souligné, au contraire, leur engagement pour Nice et les Niçois, un engagement sincère et déterminé.
Quand enfin j’ai voulu donner à Nice un espace public dédié à la mémoire de Max Gallo, lui aussi opposant déterminé et grand écrivain, je n’ai pas ressorti des archives les propos qu’il a tenus dans la chaleur des campagnes électorales de 1981.
J’ai rappelé au contraire combien Nice était honorée qu’un de ses fils la représente avec tant de brio à l’Académie française.
La haine, ce n’est pas ce qui rassemble, c’est ce qui divise.
Je ne devrais pas m’étonner qu’elle vienne d’une partie de l’échiquier politique qui se trouve tellement fracturée que la seule chose qui les unit encore, c’est la haine, et la haine d’un mort, ce qui est encore plus détestable.
Et pourtant si, je m’en étonne.
Je m’étonne qu’on puisse contester la légitimité d’un homme élu cinq fois maire de Nice, librement, pour ne rien dire de ses autres mandats de conseiller général et de député.
Je m’étonne qu’on puisse lui nier la liberté de parole qui est inséparable de l’exercice de la démocratie.
Je m’étonne que face à lui, il n’y ait jamais eu que de l’indignation effarouchée, et pas de débat de fond.
Mais ils ne m’empêcheront pas de faire tout ce qui est en mon pouvoir, non pas pour diviser les Niçois, mais pour les rassembler, et les rassembler autour de ce qui est positif.
Jacques Médecin a donné à Nice des outils de la modernité formidables. Acropolis, Jean-Bouin et le parc Charles-Ehrmann, la voie Mathis, le MAMAC et le TNN, Haliotis, pour n’évoquer que ceux-là, ce sont des anticipations extraordinaires de nos besoins d’aujourd’hui.
Et quand, six mois par an, il parcourait le monde à la recherche de nouveaux marchés touristiques, en Asie, en Amérique, il mesurait déjà où se trouvait l’avenir de notre richesse.
Ne serait-ce que pour cela, il mérite l’hommage que nous lui rendons ce matin.
Mais Jacques Médecin, ce n’est pas qu’un maire bâtisseur.
C’est d’abord, c’est surtout un homme hors du commun, et c’est cet homme-là qui nous est cher, parce qu’il est comme nous.
Son destin, il se l’est construit.
Succéder à son père n’était pas écrit.
Lui-même avait choisi d’abord une autre voie, celle du journalisme, à Nice-Matin et à L’Aurore, qui laissait toute la place à sa curiosité, à son goût pour le débat, à sa force de conviction qui balayait tout.
Seulement voilà, en 1965-1966, quand Jean Médecin meurt, ce sont ses rivaux, au sein même de sa majorité, qui veulent prendre sa place et ainsi effacer son œuvre pour Nice.
Ce n’est pas qu’une rivalité d’hommes, c’est aussi un combat politique entre ceux qui, comme Jean Médecin, ont choisi de tenir bon face aux occupants, et ceux qui se sont compromis dans la collaboration.
Jacques Médecin, c’est comme ça qu’il se forge son idée de la liberté, dans la prison de Belfort où il a été déporté avec ses parents quand il a quinze ans.
Et Jacques Médecin, c’est comme ça qu’il se forge son idée de l’honneur de la France, quand il accueille ici à bras ouvert les pieds-noirs de toutes confessions, et les harkis, dont peu d’autres villes de France veulent.
Qui le lui reproche, alors ? Qui le taxe d’antisémitisme, de racisme, de fascisme ? Qui peut regretter qu’il ait fait le choix de sauver, avec l’honneur de la France qui avait trahi sa parole, des enfants, des femmes et des hommes abandonnés de tous, et parfois promis à une mort atroce ?
Quand les 25 ans du déchirement de 1962 ont été célébrés à quelques pas d’ici, sur la place Masséna, devant Raymond Barre et Jacques Chirac en personne, Jacques Médecin a uni, il n’a pas divisé.
Ce n’est pas Jacques Chirac qui le lui aurait reproché, d’ailleurs.
Il y avait entre eux une franche camaraderie, dont j’ai été le témoin, un respect et une admiration mutuelles, en grands fauves de la politique, en hommes d’exception !
Et puis, Jacques Médecin, c’était aussi « Jacquou ».
Jacquou, c’était une connaissance intime de chaque rue, de chaque commerce, de chaque famille, je dirais presque de chaque Niçois.
Vous qui êtes là ce matin, ouvrez vos albums de famille, demandez à vos amis d’ouvrir les leurs, ce serait étonnant qu’il n’y ait pas une photo « de » ou « avec » Jacquou ! Ils sont innombrables, les Niçois qui ont été mariés par lui, qui ont reçu un petit mot de lui, dans la joie ou dans la peine, qui l’ont croisé dans les rues, veillant à tout, faisant passer les plus profonds et les plus fermes des messages derrière une blague.
Jacquou, il faisait corps avec Nice, avec nous tous.
C’était ça le « médecinisme » !
Non pas un doctrine politique desséchée, abstraite, mais une passion charnelle pour tout ce qui est nous, pour tout ce qui est Nice, sa lumière, ses parfums, ses saveurs.
Non pas une exclusion glaciale de tout ce qui n’était pas lui, mais une volonté de rassembler, de séduire autant que de combattre, sans haine mais sans faiblesse.
Une approche du monde qui était d’abord celle des femmes et des hommes, dans leurs espoirs, leurs désirs et leurs réalités.
La haine, elle n’aime pas ce qui est charnel, ce qui est humain, ce qui est imparfait.
Les rageux, ils n’aiment que la perfection, chez les autres de préférence.
Les rageux, ils n’aiment pas, d’ailleurs, ils jugent.
Alors, nous, ce matin, nous ne jugeons pas.
Nous disons merci à un homme qui était Nice, la Nice de vingt-cinq siècles d’histoire, la Nice de la mer et de la montagne, la Nice libre, qui a reçu sa morale de Grecs et des Romains et n’en a jamais rien oublié, la Nice de son temps et celle d’aujourd’hui, la Nice de passion que nous aimons si fort, de siècles en siècles, de générations en générations.
Et ce merci, c’est ici que nous le formulons, à deux pas de la mairie.
Jacquou, aujourd’hui, il aurait quatre-vingt-onze ans.
Il sortirait de la mairie, tranquille.
Il dirait bonjour aux policiers municipaux, il ferait la baieta aux dames, il pastrouillerait un temps avec les passants, il viendrait vers nous, il nous regarderait, étonné, il nous dirait : « Et qu’est-ce que vous faites-là ? » On lui dirait : « Eh bien, on vous dit merci, monsieur le maire ».
Et il nous dirait : « Mais qu’est-ce que c’est que ces cagades ! On dirait que je suis mort ! Allez, venez à la maison, je vais nous faire deux pâtes » !
Alors oui, pour tout cela, comme à tous ceux qui l’ont servie et aimée, Nice est heureuse d’offrir ce matin, à Jacques Médecin, ce qu’elle lui doit !